L'école primaire - Ban Nateui


Le projet a été initié en 1994 par des franco-laotiens de la région de Mulhouse (68) de l’association Hong Hienne Ban Hao / Alsace Laos. Il a été réalisé grâce au soutien de la Ville de Mulhouse, de nombreux mécènes, des centaines de donateurs et de bénévoles.

Les villageois débutent les travaux en 1999, le bâtiment est opérationnel en avril 2001, est inauguré une première fois en même temps que Pi Maï lao (nouvel an lao), puis avec les dernières finitions (plafonds, toilettes, clôture, portail) une deuxième fois en février 2004. 

Origine du projet

En 1994, l’école primaire de Ban Na Teui est un baraquement en planches dont le toit en tôle vient d’être emporté par un ouragan. Trois cents enfants, venus de 15 km à la ronde, s’y entassent à 85 par classe. Pendant la mousson les places au sec sont rares… 

Premier coup de pioche

Bé décide alors de la reconstruire et prend les choses en mainS. Avec des amis français et laotiens de la région de Mulhouse, le défi est relevé. Une architecte du village dessine bénévolement les plans de la nouvelle école et Bé, avec l’aide du chef du village, constitue 14 équipes de villageois dirigés par 3 chefs de chantier, tous bénévoles.

En 1999, le 1er coup de pioche est donné. Tata Bé, avec les fonds récoltés en France achète les matériaux et surveille les travaux avec les chefs de chantiers. Les habitants de 3 villages vont travailler bénévolement pendant 2 ans pour construire la nouvelle école. 

Inauguration

Le bâtiment est inauguré une première fois en avril 2001 lors d’une grande fête. Les finitions de l’école sont  achevées en février 2004 pour l’inauguration officielle, en même temps de celle du dispensaire.

GRÂCE À VOUS, bénévoles, donateurs, mécènes et amis du Laos, « notre belle école ...», comme dit Tata Bé, « ...est la fierté de tout un village ».

L'école en images

Deuxième inauguration

Un "falang" témoigne

Impressions d’un européen, artiste et photographe, de la région de Strasbourg, professeur de dessin pendant quelques semaines à Ban Na Teui, village du sud Laos.

 

par Olivier LECLERC

 

Etrange impression ! Comme par miracle, les chuchotis et les bruissements cessent lorsque j'entre dans la classe où m'attendent une trentaine de bambins du village de Ban Na Teui. A peine m'ont-ils aperçu qu'ils sont tous debout, me saluant en chœurs, mains jointes à hauteur du visage, d'un adorable "Sabaï di naïkou" ( bonjour Mr le professeur) qui me fait passer un frisson dans le dos. 

 

Je dois avouer que le trac et l'inquiétude me tombent dessus à cet instant. Je me demande si ma présence dans cette école, égarée entre forêt tropicale et rizières asséchées, en tant que professeur de dessin improvisé peut être utile à tous ces gamins souriants qui m'observent, les yeux dévorés de curiosité. Un "falang" ( un français ) qui vient les faire dessiner, quel événement !

 

 Les raisons de ma présence dans cette école, aux premières heures de ce lumineux matin de janvier, nécessitent quelques explications. En 1999, lors d'un raid VTT entre Vietnam Laos et Thaïlande avec trois amis alsaciens, nous avions été subjugués par le Laos. Plus tard, alors que le fil du temps s'évertue à faire le tri des émotions accumulées, ce sont probablement celles ressenties dans ce petit pays qui demeurèrent les plus vivaces à nos cœurs. 

 

Le charme distillé nous avait envoûté. Nous étions tous quatre tombés amoureux de ces laotiens qui nous offraient des sourires à profusion, une gentillesse spontanée et un accueil inversement proportionnel à la pauvreté qui est, hélas, le lot de la grande majorité de la population. Le Laos reste, avec le Cambodge et le Myanmar, parmi les pays les plus démunis de la planète, désespérément à la traîne du développement des nations sud-est asiatique. 

 

De retour en France, nous avions fait la connaissance de Bé Phouthavong, française d'origine laotienne vivant en Alsace. Elle s'était lancée dans la difficile tâche de reconstruire l'école primaire de son village natal pour y scolariser 350 enfants. L'ancienne, longue baraque assemblée de bric et de broc, prenait l'eau comme une vieille écumoire et ne résistait plus aux intempéries dévastatrices de la saison des pluies. 

 

Le nouveau bâtiment, 64 m de long, 7 classes plus deux bureaux et une salle de réunion, était terminé mais l'argent manquait pour les finitions, construire des toilettes et clore le terrain afin d'éviter que buffles, cochons, vaches et animaux de tous poils ne viennent y trouver refuge et ruiner la belle bâtisse.

 

Au Laos, chaque village est en charge de la construction de son établissement scolaire, l'état se contentant de payer aux enseignants un salaire de misère. Bé, malgré son énergie et son enthousiasme, s'essoufflait à organiser des soirées pour grappiller quelques milliers d'euros. Malheureusement les subsides récoltés étaient bien loin de la somme encore nécessaire à l'acquisition des matériaux qui permettraient aux villageois de finir les travaux de leur école. 

 

Ils l'avaient bâtie de leurs mains, en étaient plus que fiers, et par ce labeur de forçats se l'étaient appropriée autant que leurs enfants. Il fallait donner un second souffle à cette action. Alors, nous décidâmes, Bernard Ponton et moi même, de réaliser un film vidéo et un reportage photo en vue de futures soirées de sensibilisation.  Ainsi, en avril 2001 nous débarquions à Bane Na Teui pour une folle semaine de liesse populaire, l'inauguration de l'école étant couplée aux fêtes du nouvel an bouddhiste. 

 

Dire que nous fûmes bien accueillis est largement en dessous de la réalité! Nous étions même parfois gênés de tant de sollicitude de la part de gens qui possèdent si peu. Un après midi torride je m'étais réfugié dans l'ombre odorante d'un flamboyant pour y réaliser quelques croquis, reflets furtifs des impressions de la fête. Voyant cela, les institutrices et la directrice de l'école me demandèrent si je voulais prolonger mon séjour pour donner des cours de dessin aux enfants à l'issue des vacances. 

Je fus immédiatement séduit par cette proposition que, faute de temps, je ne pouvais malheureusement pas honorer. Cependant, trop alléché par cette idée peu ordinaire, je leur promis de revenir dans ce but le plus rapidement possible. Et voila comment, dix mois plus tard, je me retrouvais, légèrement étourdi par l'aventure, devant une trentaine de frimousses de petits laotiens souriants jusqu'aux oreilles. 

 

Ce qui frappe immédiatement c'est l'extrême dénuement des classes où, mis à part un antique tableau noir posé de guingois contre le mur, il n'y a aucun matériel pédagogique. Les pauvres fournitures scolaires des élèves consistant en un cahier, un stylo, un moignon de crayon à papier, une règle parfois remplacée par un morceau de scie à métaux hors d'usage et un manuel qui tombe en lambeaux. 

 

On ne peut qu'avoir le coeur serré en voyant ces dérisoires instruments mis à leur disposition pour s'instruire et espérer un avenir meilleur pour eux même et leur pays. Et pourtant ceux là ont de la chance en comparaison de leurs copains de beaucoup d'autres villages! L'école n'étant pas obligatoire une multitude de gamins travaillent dès leur plus jeune âge pour soulager leurs parents dans les travaux agricoles et rizicoles ou encore pratiquent mille petits métiers de débrouille pour survivre. 

 

Il vaut mieux ne pas trop penser à l'injustice de la répartition des richesses dans le monde sous peine de sombrer dans la déprime, ou se sentir fugitivement une âme d'extrémiste. Commençons la séance de dessin et tentons, au moins, d'apporter une petite pierre au fragile édifice de leur future éducation. Nous leur distribuons des feuilles et des crayons de couleur, Bé traduit quelques directives puis nous nous mettons ensemble au travail. Je donne l'exemple réalisant en grand format, au pastel gras, une vue d'habitat traditionnel laotien.

 

De leur côté les enfants plongent sur leurs feuilles dans un silence qui me trouble tellement qu'à un moment je me retourne pour vérifier qu'ils n'ont pas disparu subrepticement, me laissant seul au tableau. Mais non! Ils sont toujours là. Appliqués, concentrés comme s'ils passaient un examen dont dépendraient leurs vies. Des plus petits aux plus grands, je serai impressionné, intimidé aussi, par le sérieux que les élèves donneront à cet exercice auquel, pour ma part, je n'accordais pas une telle importance. 

Les fillettes sont toujours assises aux premiers rangs, devant les garçons, tandis que s'il y a des jeunes bonzes ils sont au fond de la classe. Cet ordre ne souffre aucune dérogation et montre le rôle déterminant des femmes dans cette société. D'ailleurs, devenues adultes, mères de familles nombreuses et travailleuses infatigables, ce sont elles qui, la plupart du temps, "porteront la culotte" dans le ménage. 

 

Les hommes, certainement trop habitués à se faire servir par la gent féminine, auront au contraire un fâcheuse tendance à se laisser vivre, préférant remettre au lendemain, le sur lendemain c'est encore mieux, ce qu'ils pourraient faire dans l'instant. Toujours prompts à faire le "boun" ( la fête), ils appliquent au pied de la lettre un art de vivre dont la philosophie essentielle pourrait se résumer à cette maxime digne de la méthode Coué: " Bo pen niang " autrement dit "tout va bien" ou " il n'y a pas de problème". 

 

Si cette indolence, ce manque cruel d'initiative, cette façon de vivre au jour le jour, où le stress n'a aucune place, sont parfois irritants c'est aussi en partie pour cela que le Laos et ses habitants sont tellement attachants. 

 

Chaque classe me réserve son lot de bonnes surprises. Dessiner est un art universel mais, si l'on a pas été pourvu par la nature, ou la génétique, de ce don, on aura beau s'acharner, la progression restera toujours sans rapport avec les efforts fournis. Cela se vérifie immédiatement. Alors que certains restent pétrifiés devant leurs feuilles, qu'ils observent comme un abîme infranchissable, esquissant de vagues gribouillis, d'autres démontrent immédiatement des qualités surprenantes. 

 

Une fois envolés les premiers moments de surprise et d'intimidation de voir cet espèce d'olibrius les faire dessiner, ils se laissent aller à exprimer la fantaisie et la spontanéité naturelles qui sont encore les privilèges de leur âge sans contraintes. Il n'y a pas de discrimination entre filles et garçons dans ce domaine. Les unes et les autres faisant preuve des mêmes manques ou des mêmes facilités artistiques. 

 

Je remarque immédiatement la part importante de la nature dans la vie de ces enfants. Ils sont encore loin des contraintes de l'existence que subissent leurs parents et ils sont tous les rois d'une nature encore relativement préservée. Habitués à batifoler sans contraintes, au milieu de la végétation et des animaux, beaucoup sont capables de restituer sur le papier leur connaissance de l'environnement. 

 

Leur sens de l'observation est sans faille quand il s'agit de reproduire la forme des arbres, de leurs feuilles ou de leurs fruits. Certains me font découvrir des dons de coloristes surprenants. Bien sûr, il faudrait travailler plus longtemps avec eux pour vérifier que ce n'est pas l'effet du hasard mais, si tel était le cas, ce serait vraiment prometteur.  

 

Après ces deux semaines à jouer au prof, je crois que l'expérience valait d'être tentée. Elle mériterait même d'être renouvelée et approfondie. Pourtant, à la fin du dernier cours, au moment ou tous les enfants se lèvent et entonnent, mains jointes, " Je salue le professeur et je demande l'autorisation de sortir", une fois la joie de la réussite passée, c'est plutôt un sentiment de malaise que j'éprouve au sujet de mes si gentils élèves éphémères. 

 

A la fin du cycle primaire, une fois sortis de leur enfance paradisiaque à courir et jouer dans la nature, à s'ébattre, libres comme le vent dans les trous d'eau et les rivières, ils iront au collège du village qui est composé de trois classes construites avec les restes de planches et de charpente encore utilisables de l'ancienne école. Et ensuite ? 

Beaucoup pourraient prétendre réussir des études supérieures mais, comme dans la majorité des cas, leurs parents ne pourront les leur offrir, l'espoir de poursuivre une scolarité brillante sera brisée net. Un bon niveau d'enseignement supérieur n'est d'ailleurs pas forcément un gage de réussite sociale. Le neveu de Bé, qui a fait quatre ans de géologie après l'équivalent du bac, se retrouve sans travail à traîner son ennuie depuis des mois devant la télévision. 

 

Sortis du système scolaire, ils s'échineront en quête d'emplois qu'ils ont peu de perspectives d'obtenir  puisque le tissu industriel, quasi inexistant, ne permet pas d'absorber le flot de jeunes gens en âge de travailler. A Bane Na Teuy les seules possibilités d'emploi sont proposées par la "mine de sel" à la sortie du village. Mais, lorsque l'on voit les conditions de travail dantesques des employés  loqueteux, qui se ruinent la santé sous des bâtiments en ruine, dans une température de fournaise, on se demande s'il faut souhaiter à qui que ce soit de travailler ici. 

 

Alors, en dépit d'une éducation correcte, leur liberté de choix sera quasi nulle si la situation économique du pays ne fait pas rapidement un bond de géant. De retour chez leurs parents, ils les aideront un temps aux travaux harassants de la plantation et de la récolte du riz puis, offensés de vivre à leur charge, taraudés par le cruel sentiment de se sentir inutiles, ils s'exileront vers la Thaïlande: l'Eldorado qui leur ouvre les bras sur l'autre rive du Mékong. 

 

Ah la Thaïlande! Le pays magique qui arrose son voisin déshérité des paillettes et  strass de feuilletons télé ineptes et de variétés débilitantes qu'enfants, adolescents et adultes dévorent les yeux brillants d'envie. Une éblouissante galerie de miroirs aux alouettes auxquels ils ne résisteront pas longtemps. 

 

J'ai souvent frémi en regardant dessiner toutes ces petites filles innocentes, avides de savoir, tellement appliquées à leur tâche, certaines au talent si prometteur. Je ne pouvais m'empêcher de penser que d'ici peu d'années on pourrait, peut être, en retrouver quelques unes, vendues comme du bétail dans les bordels de Bangkok. En écrivant cela il n'y aucune volonté de ma part de dramatiser la situation, aucune spéculation exagérée. Malheureusement il faut être conscient que les probabilités de voir se produire une telle horreur sont importantes. 

 

Désormais en Thaïlande il est de plus en plus difficile de trouver, même dans les endroits les plus reculés, des jeunes filles se laissant abuser par de mirifiques promesses d'emplois dans la capitale. Les rabatteurs recrutent maintenant essentiellement au Laos et au Cambodge, pays nettement moins informés des dangers de ce type de propositions. Avec ses 1500 habitants Bane Na Teuy n'est pas bien imposant pourtant, ces dernières années, quelques jeunes filles du village ont vécu cette terrible expérience. 

 

Tout le monde le sait mais, c'est le lot des secrets de famille trop lourds à porter, par égard pour les proches on évite d'aborder ce sujet qui laisse planer son ombre de désespoir et de honte en toutes circonstances. Ainsi, nous apprenons que, depuis notre dernier séjour, quelques jeunes filles, qui nous avaient enchanté par leur beauté et la grâce de leurs danses traditionnelles, ont filé, sans crier gare, en Thaïlande. Lorsque Bé essaye de savoir ce qu'elles y font, personne ne peut lui répondre avec précision. On espère juste que ce sont des emplois sérieux.... 

 

Les garçons ne sont pas en reste. Ils risquent également la prostitution, cependant c'est surtout la drogue qui fait des ravages dans leurs rangs. Bane Na Teuy a également eu le malheur d'en voir les effets dévastateurs sur une poignée de ses enfants partis chercher fortune dans la capitale Thaïlandaise. Celles et ceux qui échapperont à ces maléfices pour trouver un emploi normal, seront taillables et corvéables à merci par des employeurs peu scrupuleux. 

 

Depuis quelque temps il est plus aisé pour les jeunes d'obtenir un permis de travail en Thaïlande mais beaucoup tentent leur chance sans le précieux sésame, devenant ainsi travailleurs clandestins. Pour ceux là le cauchemar n'est pas encore terminé. Lorsque, au prix de multiples privations, ils réussissent à amasser un petit pécule et désirent rentrer au pays, il leur reste une ultime épreuve à surmonter. 

 

Immigrés en situation illégale, ils doivent refranchir la frontière avec l'obligation absolue de n'être jamais contrôlés par la police. Si, comble de malchance, cela arrive, l'argent qu'ils possèdent est saisi, ils sont jetés en prison et leurs familles doivent en prime payer une amende substantielle pour les sortir de ce guêpier. Bien entendu, connaissant le flux des "sans papiers" qui reviennent chez eux, la police thaïlandaise, omniprésente aux abords de la frontière, ne se prive pas de cette aubaine. 

 

Nombreux sont les malheureux qui tombent dans les chausse-trappes policiers, faisant ainsi les frais d'un incroyable système qui reprend d'une main ce qu'il a chichement donné de l'autre à ceux qu'il exploitait  hier. Toutes ces sombres perspectives me trottent dans la tête. Pourtant, à bien y regarder, le bilan s'avère plutôt positif. Malgré la barrière de la langue, les enfants ont mis du coeur à l'ouvrage, beaucoup réalisant de superbes dessins, et je pense qu'ils ont été heureux de voir que l'on s'intéresse à eux, qu'ils ne sont pas totalement abandonnés du reste du monde. 

 

Les sabaï dii, les sourires éclatants que parents et enfants m'adressaient, lorsque je me promenais dans les rues de latérite défoncée du village, l'impression de faire désormais partie de cette petite communauté, resteront mes plus belles récompenses. Cependant, malgré toute ma bonne volonté, j'ai le sentiment que ses deux semaines risquent d'avoir autant d'effet pour ces gamins rieurs et espiègles que si j'avais lancé un cailloux dans la Mékong au plus fort de sa crue. Il fallait pourtant le faire, en espérant que la somme de telles petites actions finisse un jour par porter ses fruits. 

 

Je sais que mon jugement est injuste, exagérément pessimiste, mais je n'arrive pas à me défaire de la curieuse sensation d'avoir été l'arroseur arrosé dans l'histoire. Alors que j'étais venu apporter  l'aide que je pouvais fournir avec mes moyens, je me demande maintenant si, contre toute logique, ce n'est pas moi qui ai le plus reçu tout au long de cette belle aventure. J'en suis vraiment ému mais ce n'était pas le but à atteindre. Il faudra vraiment que j'essaye de faire mieux la prochaine fois. 

 

 

Olivier LECLERC